Combattre les PEE au mont Saint-Bruno

En cette Journée internationale de la diversité biologique, les plantes exotiques envahissantes (PEE) sont un sujet des plus appropriés.

Les PEE sont une des principales menaces à la biodiversité identifiées en 2023 par la Fondation du Mont-Saint-Bruno et Nature-Action Québec dans leur plan de conservation local.

Dr Tanya Handa, professeure à l’UQAM et directrice scientifique de la Fondation, en fait un projet d’étude cet été avec ses collègues Daniel Kneeshaw et Bryan Osborne.  Dr Handa a aussi demandé à un de ses étudiants, le jeune scientifique Jean-Philippe Létourneau, de collaborer à la caractérisation des PEE en périphérie du parc national du Mont-Saint-Bruno.

Nous avons rejoint Professeure Handa et Jean-Philippe Létourneau sur le terrain afin qu’ils nous parlent de ce qu’ils souhaitent accomplir.  (Photo d’entête : champ de phragmite)

L’équipe du projet des PEE (Photo : JMcD)

FMSB : C’est quoi au juste des PEE ?

TH : Ce sont des plantes indésirables qui ont été introduites par l’activité humaine, volontairement ou involontairement.  Les PEE s’installent hors de leurs propres milieux naturels et menacent les écosystèmes, les habitats naturels et les espèces indigènes du nouveau territoire.

C’est un problème causé par la mondialisation, surtout par le volume sans cesse grandissant des échanges commerciaux et des voyages maritimes.  Les PEE au Québec sont majoritairement d’Europe et d’Asie.

JPL : Certaines espèces indésirables sont ici depuis très longtemps et gagnent de plus en plus de terrain.  Par exemple, l’alliaire officinale, une PEE très agressive qui se trouve sur le mont Saint-Bruno, a été importée par des colons au 19e siècle comme plante médicinale et condimentaire.

FMSB : Pourquoi est-ce important de combattre les PEE ?

TH :  Le mont Saint-Bruno possède une biodiversité exceptionnelle en Montérégie.

En plus d’être le foyer de 200 espèces d’oiseaux, de plusieurs mammifères, reptiles et amphibiens, la colline est l’habitat d’une importante diversité florale. On y retrouve environ 500 plantes herbacées, dont 22 espèces qui sont considérées vulnérables, menacées ou susceptibles de le devenir.

JPL : Le lac des Atocas, qui est un petit lac unique de 0,68 ha dans le parc, abrite à lui seul 53 espèces de libellules, dont l’æschne des nénuphars. Cette libellule n’est retrouvée nulle part ailleurs au Québec et son statut de conservation est considéré « sévèrement en péril » chez nos voisins du New Hampshire et du Vermont.

FMSB : Pourquoi les PEE représentent-elles une menace à la biodiversité ?

TH : Parce qu’elles dominent rapidement les boisés au détriment de la flore indigène. Leur propagation pose une menace pour la biodiversité des milieux naturels car les espèces locales ne peuvent pas s’adapter assez rapidement pour compétitionner contre ces intrus. Dans certaines situations, les PEE causent l’extinction d’espèces indigènes, particulièrement les plantes rares.

JPL : Certaines espèces exotiques modifient les propriétés des écosystèmes pour avantager leur croissance et nuire à celle des autres espèces. C’est le cas du nerprun cathartique, qui sécrète de l’émodine dans le sol, une substance qui nuit à la croissance des autres végétaux et qui est toxique pour certains amphibiens.

TH : Aussi, certaines PEE profitent de la population abondante de cerfs de Virginie dans la région. Le cerf se nourrit de la flore locale, mais ne mange pas certaines espèces exotiques comme l’alliaire officinale et l’épine-vinette du Japon.  Le résultat :  les espèces indésirables se multiplient.

C’est un défi de taille et c’est pourquoi il est important d’avoir un vrai portrait de la menace.

FMSB : Que devez-vous faire pour avoir le portrait de la menace ?

JPL : Il faut caractériser les lieux, particulièrement celui du pourtour du parc national du Mont-Saint-Bruno.  Pour caractériser, on récolte des données sur la végétation, les sols, la topographie, l’hydrographie et l’historique des lieux. Ces données permettent de comprendre et de cartographier les différents écosystèmes du territoire afin d’identifier les zones à risque.

TH : C’est une situation assez complexe parce que la gestion du territoire est partagée par diverses parties prenantes : la Sépaq, les villes de Saint-Basile, Saint-Bruno et Sainte-Julie, Nature-Action Québec (NAQ), le ministère de la Défense nationale (MDN) et plusieurs propriétaires privés.

La SÉPAQ a déjà mis en place un protocole pour combattre les PEE au parc national du Mont-Saint-Bruno afin de préserver l’intégrité des habitats des espèces menacées. Par contre, les espèces indésirables ne sont pas répertoriées ni contrôlées dans les milieux naturels périphériques.

Le projet vise dans un premier temps à recenser les colonies de PEE et la présence d’espèces menacées en périphérie du parc national. Avec ces données, un plan d’intervention 2025-2027 sera élaboré pour contrôler les colonies nuisibles de PEE.

Tableau : PEE nuisibles, Nature-Action Québec

Ce travail sera réalisé en collaboration avec les parties prenantes. Des rencontres avec la Sépaq permettront de mettre en pratique une méthode de travail similaire à celle de l’équipe de gestion des PEE du parc national. Les échanges avec les gestionnaires en environnement des municipalités et autres partenaires permettra de cibler les secteurs prioritaires à recenser sur leur territoire.

FMSB :  Quelles sont les prochaines étapes ?

TH :  Le recensement du territoire en périphérie du parc national nous permettra de produire des cartes de l’étendue des PEE.

Le but est évidemment de recommander des méthodes de contrôle pour traiter chacune des colonies répertoriées sur le territoire pour ensuite passer à l’action avec les parties prenantes.

Les travaux d’interventions prévus pour 2025-2027 seront priorisés afin que les efforts de contrôle ciblent tout d’abord les colonies qui représentent le plus de risque pour l’intégrité écologique du mont Saint-Bruno.

JPL : La lutte contre les PEE est un travail de longue haleine, alors le but est de diriger les ressources vers les lieux où la présence de ces espèces est plus problématique et où la lutte contribuera à la préservation des milieux naturels montérégiens.

FMSB : Que souhaitez-vous accomplir par votre projet ?

TH : À court terme, notre collaboration aidera la Fondation à présenter aux diverses parties prenantes, cet automne, un plan d’intervention solide pour 2025-2027.

De plus, le Québec a signé la convention sur la diversité biologique des Nations Unies en décembre 2022, lors de la COP 15.  On y définit des objectifs et cibles qui permettront de conserver la diversité biologique.

Notre projet vise trois de ces cibles :

  • Restaurer 30% des écosystèmes dégradés d’ici 2030 (cible 2);
  • Agir de façon urgente pour cesser la perte d’espèces menacées (cible 4)
  • Éliminer, minimiser ou atténuer les impacts des espèces exotiques envahissantes sur la biodiversité (cible 6).

Une gestion efficace des PEE permettra de prévenir la dégradation des écosystèmes et assurer une protection des 22 espèces vulnérables, menacées ou susceptibles de le devenir, qui sont présentes sur le territoire du mont Saint-Bruno.  Nos actions locales contribueront ainsi à l’atteinte des engagements du Québec et du Canada à l’international.

Nous remercions la professeure Tanya Handa de l’UQAM et son étudiant Jean-Philippe Létourneau de nous avoir rencontrés.

Le projet de caractérisation des PEE est réalisé grâce au financement d’Environnement et Changement climatique Canada et de Nature-Action Québec.

Bonne Journée internationale de la diversité biologique !