Minuit moins deux : Apprendre de la crise climatique
Qui aurait imaginé l’expression « réchauffement climatique » il y a 50 ans, quand les municipalités ont dézoné des milieux naturels et terres agricoles pour vendre les terrains au profit du développement commercial, résidentiel et industriel ? Quelques décennies plus tard, la confrontation entre le développement urbain et la protection des milieux naturels s’intensifie.
Deux droits fondamentaux inscrits à la Charte des droits et libertés de la personne s’opposent : le droit de propriété vs le droit à la vie et à la sureté.
Quant à la biodiversité, elle n’a pas besoin d’un statut juridique ou d’un procès devant la Cour pour réagir. On coupe ses arbres et détruit ses cours d’eau ? Elle s’éteint. On maintient son équilibre ? Elle nous entoure de vie et nous protège contre les intempéries.
(Photo d’entête : JMcD Étalement urbain qui empiète sur l’écosystème du mont Saint-Bruno)
De réchauffement climatique… à chaleur extrême
Le réchauffement climatique résultant des gaz à effet de serre (GES) met la vie de toutes les espèces en danger.
Le Canada se réchauffe deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale. La chaleur sans précédent de 49,6°C enregistré à Lytton, en Colombie-Britannique, fait fi de tous les modèles climatiques scientifiques.
La vague de chaleur extrême de juin 2021 a non seulement causé la mort de 720 Britanno-Colombiens, elle a aussi pris la vie d’un milliard d’animaux marins sur les côtes de l’Ouest canadien. L’ONU estime qu’à compter de 2030, ce sera 250 000 personnes par an qui perdront la vie. On ne saurait estimer combien de milliards d’animaux et autres espèces périront.
N’oublions pas que le réchauffement climatique menace la capacité de nos forêts à agir comme puits de carbone. Les feux de forêt, le dégel du pergélisol, les épidémies d’insectes comme la tordeuse des bourgeons de l’épinette au Québec et le dendrochtone des pins dans l’Ouest, transforment plutôt nos forêts en sources d’émission de GES. Il y a de quoi s’inquiéter.
Les milieux naturels : dix fois plus rentables dans la gestion des GES
« De nombreux travaux scientifiques réalisés au Québec et dans le monde montrent que le recours aux infrastructures naturelles est l’une des solutions les plus efficaces d’un point de vue de la résilience environnementale, de l’acceptabilité sociale et de la rentabilité économique. En matière de séquestration du carbone, ces mesures sont considérées comme étant plus économiques (jusqu’à dix fois moins onéreuses) et efficaces que les nouvelles technologies. »
Le nord est protégé…le sud attend
Le Québec fait partie des 196 pays qui ont signé la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies, créée en 1992. Les signataires ont accepté que soit protégé à perpétuité 10 % du milieu marin et 17 % du milieu terrestre et d’eau douce de leur territoire avant la fin de 2020.
En concentrant ses efforts de conservation dans le nord du Québec, le gouvernement a atteint son objectif et évite de payer des millions de dollars sur le marché des crédits carbone compensatoires. Le portefeuille des Québécois et Québécoises est mieux nanti, mais qu’en est-il de l’impact réel des GES sur la biodiversité de notre territoire ?
À la lumière des événements climatiques de l’été 2021, il y a urgence d’agir dans le sud du Québec où la concentration de GES menace davantage nos milieux naturels. En juillet 2020, le gouvernement du Québec a investi 1,875M$ sur trois ans pour aider les municipalités à protéger la biodiversité sur leurs territoires. En avril 2021, il a octroyé 40,1M$ à Conservation de la nature Canada (CNC) pour développer le réseau d’aires protégées en terres privées dans le sud de la province.
Il faudra suivre de près l’action de Conservation de la nature Canada. Il est certain que moins de deux millions de dollars pour l’ensemble des municipalités est carrément insuffisant pour leurs besoins de conservation.
Les boisés entourant le mont Saint-Bruno : des puits de carbone
Le mont Saint-Bruno, ainsi que les boisés, les milieux humides et les tourbières qui l’entourent sont de véritables puits de carbone qui combattent les îlots de chaleur. Leurs statuts varient cependant. Certains comme la Réserve naturelle du Boisé-Tailhandier sont protégés à perpétuité, d’autres appartiennent à des promoteurs dont les projets de développement envisagés ajouteront à l’étalement urbain.
- Boisé de Carignan (Carignan) – développement domiciliaire
- Boisé des Hirondelles (Saint-Bruno) – développement domiciliaire
- Boisé de la Falaise (Sainte-Julie) – terrain d’un promoteur transformé en réserve naturelle protégée
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Boisé Sabourin (Saint-Bruno) – développement domiciliaire
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Boisé des Tilleuls (Saint-Bruno) – développement domiciliaire
- Terrain de la Défense nationale (Saint-Bruno / Saint-Basile) – statut à confirmer
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Tourbière du mont Saint-Bruno (Saint-Bruno) – protégé en partie
Protéger à perpétuité
Création d’emplois et revenus fiscaux sont les arguments de nos décideurs pour justifier le dézonage de milieux naturels et l’autorisation de projets générateurs de GES. Ces critères décisionnels gagnent souvent la partie au profit du développement industriel ou immobilier, comme le souligne Colleen Thorpe, directrice générale d’Équiterre.
Et si on accordait autant de poids, sinon plus, à la santé et au bien-être des citoyens et de la biodiversité, comme le veut notre Loi sur la qualité de l’environnement ?
Les moyens pour protéger nos milieux naturels à perpétuité existent : le statut de réserve naturelle, la servitude de conservation, le droit de préemption et l’expropriation.
Le statut de « réserve naturelle », reconnu par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques en vertu de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel, garantit la protection des caractéristiques naturelles du milieu tout en permettant certains usages par les propriétaires.
Voici quelques exemples de réserves naturelles près du mont Saint-Bruno :
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La réserve naturelle de l’Académie-des-Sacrés-Cœurs, Saint-Basile-le-Grand, milieu privé (5,13 ha)
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La réserve naturelle du Boisé-Tailhandier, Saint-Bruno-de-Montarville, milieu municipal (7,2 ha)
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Les réserves naturelles du mont Saint-Bruno et Namasté, Sainte-Julie, milieu privé (19,8 ha)
Nature-Action Québec est très actif autour du mont Saint-Bruno, œuvrant en partenariat avec les propriétaires privés pour la protection d’une zone tampon au parc national.
La servitude de conservation est une entente entre un propriétaire de terrain privé et un organisme bénéficiaire ou la ville où se situe le terrain, par laquelle le propriétaire renonce à faire sur son terrain des activités nuisibles ou dommageables pour l’environnement afin d’assurer la protection des attraits naturels qui s’y trouvent. Cette entente peut être admissible à un reçu officiel pour don écologique.
Les villes réclament également le droit de préemption ou de premier refus, un outil supplémentaire leur permettant d’acquérir en priorité sur tout acheteur un bien immobilier lors de sa mise en vente. La Ville de Montréal détient ce droit actuellement au Québec.
Si les municipalités ont généralement adhéré au principe de protection des milieux naturels, le pourcentage du territoire protégé stagne toujours bien en deçà de l’objectif de 17% fixé dans le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD).
Seulement 10% du territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) est protégé et environ 3,86% dans l’ensemble de la Montérégie. Les municipalités manquent de moyens financiers et juridiques pour acquérir les terrains aux fins de conservation.
Devant l’appétit des promoteurs et les menaces de poursuites pour expropriation déguisée, les municipalités demandent au Gouvernement du Québec une modernisation de la Loi sur l’expropriation afin que les coûts d’acquisition soient calculés selon la valeur marchande la plus raisonnable de la propriété et non à la hauteur des profits escomptés.
Minuit moins deux
Malgré l’impact de plus en plus violent du réchauffement climatique, on oublie facilement les épisodes de climat extrême – chaleur, verglas, sécheresses prolongées, tornades, inondations… On reprend ses habitudes à l’origine du problème dès qu’on est moins déstabilisé. Et voilà qu’un autre épisode encore plus violent nous frappe.
À l’automne, les dirigeants mondiaux feront le point sur les milieux naturels lors de la 15e Conférence des Nations Unies sur la biodiversité (Kunming, Chine, octobre). Ils décideront des prochains objectifs de réduction d’émission des GES lors de la 26e Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (Glasgow, Écosse, novembre).
Et nous ? À quand la décision de donner du mordant aux lois québécoises qui protègent nos milieux naturels ?
Il est minuit moins deux.
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